Le changement climatique dans les Alpes du Sud

Le réchauffement constaté dans les Alpes depuis les années 1950 atteint environ 2°C. C’est la région naturelle qui subit le plus l’effet du changement climatique en France avec un niveau de réchauffement deux fois supérieur en comparaison de l’élévation des températures observée à l’échelle mondiale.

Aucune tendance de diminution ou de hausse des précipitations n’a été mise en évidence pour le moment. Néanmoins, l’élévation des températures moyennes impacte l’évapotranspiration (sols et plantes) affectant ainsi le bilan hydrique de manière négative. Dans les Alpes du Sud, caractérisées par un déficit hydrique estival, l’augmentation de l’évapotrasnpiration se traduit par une diminution du bilan hydrique printanier et estival. Cette tendance augmente les risques climatiques résultant d’une conjonction de facteurs à la fois du changement climatique et des aléas climatiques qui se superposent. Les secteurs sensibles à la sécheresse aujourd’hui verront donc leur vulnérabilité augmenter avec un risque accru d’accidents climatiques (sévérité et fréquence).

La tendance générale observée dans les Alpes du Sud est qualifiée de « méditerranéisation » du climat. Le Mercantour, de part les singularités climatiques et géologiques qui s’y expriment, peut être considéré comme le fruit d’un assemblage climatique nourri par des influences alpines et méditerranéennes. La part relative de ces deux courants d’influence va donc évoluer dans les prochaines années mais il est à prévoir que la réponse ne sera pas la même selon les localités.

Les groupements végétaux et les habitats d’altitude

Une élévation importante des températures moyennes se traduirait en montagne par une translation vers le haut des étages de végétation qui s’expriment aujourd’hui à des altitudes plus basses. Dans le massif du Mercantour, cette translation vers le haut aurait pour effet principal la disparation de l’étage alpin, remplacé par une expression nouvelle des étages subalpin et montagnard qui gagneraient progressivement les altitudes les plus élevées. Ce remplacement peut être imaginer comme une recomposition progressive plutôt que par une translation parfaite de l’existant. L’étage alpin se trouverait ainsi envahi, comprimé puis progressivement supprimé dans son expression actuelle. Dans le Mercantour, les opportunités de migration des écosystèmes alpins vers de nouveaux espaces libérés et nouvellement disponibles plus haut en altitude sont faibles voire inexistantes. L’étage alpin se présentant déjà aujourd’hui dans une position « perchée », il se contracterait inexorablement jusqu’à disparation complète.

Dès lors, les perspectives d’évolution du climat à moyen et long terme créent une situation de relative vulnérabilité qui doit motiver l’étude de la dynamique des groupements végétaux d’altitude. Ceux-ci sont menacés tant d’un point de vue quantitatif (représentation en surface) que d’un point de vue qualitatif (espèces et groupements végétaux spécifiques de la haute montagne). En effet, l’un des principaux facteurs d’influence des groupements végétaux d’altitude est la couverture neigeuse hivernale qui conditionne fortement par son recouvrement (surface, épaisseur et durée) l’expression de la végétation au sol. Or, dans un contexte de réchauffement climatique, le nombre de jours sans neige devrait aller en augmentant favorisant ainsi les groupements végétaux liés à des conditions d’enneigement faible. Dans l’hypothèse d’un régime de précipitation stable, le bilan hydrique estival sera impacté à la baisse générant des phénomènes d’asséchement temporaires voire permanents des milieux humides d’altitude (dépressions, marais alpins, combes à neige, etc.) par une évolution à la baisse du bilan hydrique estival.
Toutefois, il s’agit là de trajectoires possibles plus que de projections précises et plusieurs nuances doivent être apportées pour compléter le tableau :
• il est vraisemblable que le jeu complexe de la géomorphologie et du relief maintienne en place des conditions favorables aux écosystèmes alpins dans des situations de niche occupant des superficies réduites mais persistantes,
• la morphologie des couches de surface (type et épaisseur du sol, pente, etc.) sera souvent un facteur limitant à l’établissement rapide d’écosystèmes forestiers (montagnard et subalpin) aujourd’hui installés à plus basse altitude. C’est principalement le temps nécessaire à la maturation des sols qui entre ici en ligne de compte,
• les changements à venir n’interviendront pas sans une certaine inertie. Le processus de mise à l’équilibre entre les différents états s’inscrit dans le temps long. Les changements qui impacteront les écosystèmes en place ne se feront pas à l’échelle des modifications de conditions environnementales (T°C, P, etc.) mais avec un certain décalage qu’il est aujourd’hui difficile d’apprécier. Le temps de latence entre l’élévation de la température et la réponse des communautés végétales n’est pas connu et il est important de tenir compte de la plasticité des phénotypes et de la capacité des écosystèmes à s’adapter à des modifications rapides des conditions environnementales.
En outre, on ne peut pas imaginer les communautés végétales et les écosystèmes migrer «en corps constitué». Il est plus vraisemblable que les associations connues se décomposent et se recomposent si la coévolution ou le déplacement simultané ne sont pas possibles selon l’échelle de temps et l’ampleur des changements considérés. Les capacités de déplacement et d’adaptation des différentes espèces seront en cela déterminantes. Les stratégies individuelles propres à chaque espèce ou groupe d’espèce s’exprimeront peut-être davantage (dispersion par graines ou par voie végétative, capacité à coloniser de nouveaux milieux, etc.) en comparaison des stratégies collectives.
Il est donc urgent de s’intéresser aux changements et processus écologiques en cours et à venir en haute montagne. En effet, les milieux et les habitats naturels de l’étage alpin sont des écosystèmes originaux, qui se situent en limite d’aire de répartition dans le Mercantour, qui sont menacés d’altération profonde voire de disparation à terme.

Les espèces spécialisées de la haute montagne

Les milieux naturels alpins sont donc exposés à des modifications environnementales profondes et rapides qui ont des conséquences directes sur la faune spécialisée comme le Lagopède alpin ou le Lièvre variable qui peuvent être considérées comme des espèces particulièrement vulnérables. Ces deux espèces sont pourtant peu étudiées en raison des fortes contraintes physiques et climatiques qui rendent les conditions d’accès et de travail difficiles en haute altitude.

En réponse aux changements environnementaux les espèces sauvages peuvent s’adapter à leurs nouvelles conditions de vie en mobilisant plusieurs stratégies. Face à une élévation de la température moyenne, elles peuvent se déplacer pour retrouver plus au nord ou plus haut en altitude des conditions de vie qu’elles connaissent et qui leur sont favorables. Elle cherchent à suivre leur optimum climatique, on parle de traque à l’habitat. D’autres mécanismes d’adaptation, plus complexes, concernent les micro-évolutions génétiques qui permettent aux individus et aux populations animales de survivre en développant de nouvelles capacités (physiologiques, etc.). Ces évolutions génétiques sont favorisées par une diversité génétique élevée au sein des différentes populations. Le potentiel d’adaptation d’une espèce est donc étroitement lié à la diversité génétique qui caractérise les principales populations d’une part et aux possibilités de déplacement et d’échange des individus entre ces populations d’autre part.

Les alpages et l’activité pastorale face au changement climatique dans le massif du Mercantour

Support d’une activité pastorale traditionnelle, les alpages du Mercantour sont des milieux à enjeux environnementaux et patrimoniaux forts. Ces espaces fragiles ne sont pas épargnés par le changement climatique. Les impacts environnementaux sont contrastées localement par les atouts et faiblesses qui caractérisent chaque alpage (relief, substrat, ressources en herbe et en eau, etc.). La compréhension des mécanismes et la mesure des impacts du changement climatique sont donc fondamentales pour anticiper dès à présent la gestion de ces espaces remarquables.

Relativement aux tendances d’évolution climatique qui se profilent, les impacts attendus sur la ressource en herbe dans les alpages sont multiples et se combinent :
• augmentation de la durée de la saison végétative avec un démarrage de la végétation plus précoce au printemps et un allongement de la production à l’automne,
• augmentation de l’évapotranspiration impactant le bilan hydrique avec pour conséquence des sécheresses plus fréquentes et plus sévères qui se traduisent par des creux de production fourragère et des atteintes aux écosystèmes,
• des dégradations du tapis herbacé, exposé à des épisodes de gel tardif (rôle isolant du manteau neigeux en diminution) au printemps et plus exposé à des sécheresses sévères en période estivale. Les pâturages de haute altitude localisés sur des pentes fortes avec des sols superficiels sont particulièrement exposés. Les dégradations engendrées peuvent être irréversibles en cas de pratiques inadaptées.

La gestion de la ressource en eau est une autre dimension essentielle en alpage. L’augmentation des températures risque de se traduire par une hausse des besoins en eau (troupeau et berger). Ces besoins en hausse coïncident avec une disponibilité de la ressource en eau en baisse conduisant à des situations tendues. La vulnérabilité des alpages vis-à-vis de la ressource en eau doit être analysée au cas par cas, elle est notamment fonction :
• de la taille du bassin versant dans le lequel l’alpage est localisé,
• de la présence de névés importants qui peuvent restituer de l’eau aux sols et aux cours d’eau,
• de la présence de sources,
• de la présence de zones humides jouant un rôle de tampon.

La capacité des alpages et des systèmes d’exploitation à encaisser de fortes variations climatiques est donc posée sachant qu’il existe vraisemblablement des effets de seuil aujourd’hui difficiles à identifier. La préservation des milieux et des systèmes de production passe nécessairement par une analyse des pratiques actuelles afin d’identifier des marges de manœuvre potentielles qui pourraient être mises à profit dans une logique d’adaptation visant à gagner en souplesse pour amortir et gérer les épisodes les plus sévères.